Analyse critique : les défis et les déceptions des coentreprises en Chine

Les coentreprises (Joint Ventures, ou « JVs ») en Chine ont souvent été présentées comme une voie stratégique permettant aux entreprises occidentales d’accéder à l’immense marché chinois.

En pratique, cependant, nombre de ces alliances n’ont pas répondu aux attentes. Si elles semblent prometteuses au départ, une proportion significative se solde par des résultats décevants pour le partenaire occidental et des bénéfices disproportionnés pour la partie chinoise.

Captation de valeur inégale : transfert de technologie sans retour stratégique

Exemple : Danone – Wahaha Group (agroalimentaire)

Danone a conclu, dans les années 1990, une coentreprise avec le géant chinois des boissons Wahaha, afin de pénétrer le marché chinois de la consommation.

Au fil du temps, Wahaha a mis en place des opérations parallèles sous sa propre marque, utilisant, selon les allégations de Danone, les actifs et le savoir-faire de la JV.

Des litiges juridiques ont suivi, tant devant les tribunaux chinois qu’internationaux. Finalement, Danone s’est retiré de la coentreprise en 2009, après avoir échoué à faire respecter ses droits, subissant à la fois des préjudices réputationnels et financiers.

Exemple : General Motors – SAIC (technologie automobile)

General Motors (GM) entretient une coentreprise de longue date avec SAIC, qui lui avait initialement permis de dominer le marché automobile chinois.

Cependant, ces dernières années, SAIC a tiré parti de l’expérience acquise au sein de la JV pour développer des marques indépendantes et exporter à l’échelle mondiale, parfois en concurrence directe avec GM.

Le constructeur américain fait désormais face à une érosion de sa part de marché, à une compression de ses marges et à une perte de contrôle stratégique sur ce qui fut autrefois son marché le plus prometteur.

Gouvernance et contrôle : absence d’influence réelle

Exemple : Ericsson – Panda Electronics (télécommunications)

Ericsson a établi au début des années 1990 une coentreprise avec Panda Electronics.

Bien qu’elle ait apporté des technologies de télécommunications essentielles, l’entreprise suédoise a rencontré d’importantes difficultés en matière de gouvernance et d’exécution stratégique.

La JV a souffert de pertes récurrentes et d’un désalignement d’objectifs, conduisant Ericsson à se retirer entièrement de la structure chinoise au début des années 2000.

Exemple : GSK – opérations pharmaceutiques en Chine

GlaxoSmithKline (GSK) a rencontré de graves problèmes dans ses activités en Chine, y compris dans des partenariats assimilables à des coentreprises lorsqu’elle a été impliquée en 2013 dans un important scandale de corruption.

Bien qu’il ne s’agisse pas, à proprement parler, d’un échec de JV, le manque de supervision efficace dans sa structure locale a provoqué des dommages réputationnels, juridiques et financiers illustrant les risques de gouvernance inhérents à la gestion d’opérations via des intermédiaires ou structures partagées en Chine.

Fuite de propriété intellectuelle et reproduction

Exemple : RCA (aujourd’hui intégrée à GE/Thomson) – diverses coentreprises chinoises

Dans les années 1980 et 1990, RCA et ses successeurs ont créé plusieurs coentreprises en Chine pour la fabrication d’équipements électroniques grand public et de technologies d’affichage.

Une grande partie des technologies transférées a été rapidement absorbée et réutilisée par les partenaires chinois, menant à l’émergence de concurrents locaux.

RCA a progressivement perdu toute pertinence sur le marché régional, tandis que ses technologies clés devenaient banalisées.

Exemple : Alstom – secteur ferroviaire chinois (trains à grande vitesse)

Le groupe français Alstom a noué plusieurs partenariats et accords de licence avec des entités chinoises, transférant des technologies de train à grande vitesse.

Avec le temps, des entreprises chinoises comme CRRC ont non seulement assimilé ces technologies, mais ont également développé et exporté leurs propres systèmes concurrents à l’échelle mondiale, réduisant considérablement l’avantage compétitif à long terme d’Alstom.

Obstacles réglementaires et restrictions à la sortie

Exemple : Yahoo – Alibaba (technologies)

L’investissement initial de Yahoo dans Alibaba s’est révélé extrêmement lucratif, mais la coentreprise créée pour gérer ses opérations en Chine (Yahoo China) s’est rapidement heurtée à des différends de gouvernance et à des obstacles réglementaires.

Yahoo a perdu le contrôle opérationnel, et après un long conflit, a été contraint de se retirer sous la pression du gouvernement chinois, avec une influence limitée sur les conditions de cession.

Exemple : Google – retrait du marché chinois

Bien que son implantation ne fût pas structurée comme une JV, la tentative de Google de se conformer à la censure chinoise et de collaborer avec des partenaires locaux s’est soldée par un échec.

Soumis à la fois à la pression du gouvernement et à la concurrence d’acteurs nationaux dominants (notamment Baidu et Tencent), Google s’est retiré du marché chinois de la recherche en 2010 illustrant la difficulté plus large de maintenir des opérations équitables et durables dans les secteurs technologiques stratégiques.

Conclusion : tirer les enseignements des schémas récurrents

Ces exemples, parmi bien d’autres, mettent en évidence des tendances constantes dans les coentreprises établies en Chine :

– Transfert de technologie sans accès réciproque ni contrôle durable ;

– Déséquilibres de gouvernance laissant le partenaire occidental marginalisé ;

– Systèmes réglementaires imprévisibles ou stratégiquement biaisés ;

– Sorties difficiles, voire bloquées, même après des années d’investissement.

Pour les entreprises opérant dans les secteurs industriel, technologique ou à forte intensité de propriété intellectuelle, il est essentiel d’évaluer avec rigueur si la coentreprise constitue la structure appropriée ou si d’autres modèles (tels qu’une filiale à capitaux exclusivement étrangers, un contrat de licence ou un accord de distribution) offrent une voie plus solide et stratégiquement défendable.

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